Rien ne s’est déroulé comme prévu.
Personne n’a été en mesure de m’aider.
Mes recherches n’avancent pas.
Je le sais. Je le sens.
C’est en train de me transformer. Pas à pas. De l’intérieur.
Que pourrais-je faire contre cela ?
Je n’en sais rien. J’ai froid. …
J’ai peur.
Ce corps… Il me fait peur.
23 mars 2010. Je rentre sur Terre.
Cela fait moins d’un mois entre deux sauts. C’est inhabituel et surtout, inattendu. J’étais dans mon lit lorsque cette idée m’est venue. Elle s’est imposée à moi. Je me retrouve donc en plein milieu d’une ruelle à Paris, à peine habillé. Sur moi, je n’ai emporté qu’un portefeuille contenant une carte de crédit, un peu de liquide et ma carte d’identité. Cette dernière ne me servira à rien cependant. Dans ce monde, je ne suis plus personne. Je n’ai ni identité, ni famille. Je suis seul et je me promène en errant de manière hasardeuse. Les autres piétons me dépassent sans peine, ils marchent vite. Tous, occupés au téléphone, un café Starbuck à la main. Je les regarde, mais eux ne me voient pas. Un homme me bouscule, je me retourne, mais lui, continue son chemin comme si de rien n’était. Je ne l’interpelle pas, je sais que cela ne servira à rien… Il ne m’entendrait pas. Vaseux, je me remets en route. Aux abords d’un grand carrefour, je vois une circulation débordante et un système chaotique régulé par des règles ancrée dans chacun des individus m’entourant. Plusieurs personnes traversent au rouge et les voitures s’arrêtent en klaxonnant. Pourtant, cela n’y change rien et ce constat se répète au fil des intersections. Devant un café, je m’arrête une poignée de secondes. Je dévisage la carte avant de poursuivre le long du trottoir. La vie est si cher ici, mais tout le monde semble s’y accommoder sans rien dire. Au passage d’une ruelle, deux gars me happent dans un coin sombre. Derrière une poubelle, ils me menacent d’un couteau si jamais je cris. Blasé, je l’écoute déblatérer ses inepties. Puis, d’un geste de la main, je le désarme et l’envoie rejoindre Morphée. Le poing de son pote se resserre, je le vois parfaitement venir dans ma direction. Si je ne bouge pas, je me le prendrais et je pourrais m’évanouir en percutant le bord de la poubelle. A la place, je lève ma main instinctivement pour parer. Je suis plus rapide que lui, mais ma force est diminuée. Ma main ploie et je me retrouve repoussé en arrière. Coincé, je lui envoie une volée de coups de pieds qui me permettent de me dégager. J’enchaine sur une technique de balayage qui lui fait perdre pieds sur terre. En position de faiblesse, je lui colle deux droites, concluant cette affaire. Dans la bataille, je n’ai pas vu l’entaille faite à mon bras gauche. Le sang coule le long de mon bras, je le laisse faire. J’arrache l’une des vestes en cuir d’un de mes agresseurs et la pose sur mes épaules.
Dans la rue d’à côté, personne n’a rien entendu. Je continue donc d’avancer comme si de rien n’était. Dans la veste, je découvre quelques billets, sûrement volés, et vais me payer un thé dans l’un de ces cafés coûteux. Les saveurs n’ont plus exactement le même goût. En observant les autres clients, je sens que ce n’est pas que le thé. Ma vision évolue à mon dépend et je me mets à trembler en le remarquant. Un serveur vient poliment me demander si je vais bien. Je lui paye ma consommation en le rassurant et me hâte vers la sortie. Dehors, je m’adosse à la porte pour souffler. Je dois finalement quitter mon poste quand d’autres personnes souhaitent entrer dans le café. Gardant les yeux rivés au sol, je ne suis plus aussi vaseux qu’avant et je double les autres piétons. Il n’y a pas de course pourtant, et je n’ai rien à faire de particulier dans ce monde. Alors pourquoi suis-je là ? Pourquoi ai-je eu envie de m’évader de Babylon ? Il n’y a pas de véritable raison. J’ai agi sans réfléchir et je ne peux que m’en mordre les doigts à présent. En fait, je pensais qu’en venant ici, les choses seraient différentes. Peut-être que je serais toujours moi, m’étais-je rassuré. Seulement nos malédictions nous suivent jusque dans les autres univers. S’en débarrasser n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Que JE pouvais le croire. Ne transformons pas en généralité ce qui n’appartient qu’à moi. Je lève une main pour appeler un taxi. Le véhicule s’arrête et je m’engouffre dedans par la portière. Avec un accent mexicain comme dans les films, il me demande ma destination. J’aurais envie de lui dire : l’aéroport s’il vous plait. Sauf que sans identité, je ne pourrais jamais passer les douanes. Sous mes instructions, nous prenons donc la direction de l’une des gares. Je ne suis pas sûr d’avoir sélectionné la bonne, mais je crois que c’est celle-là. L’espace d’une bonne heure, le taxi traverse Paris, je sais que cela va me coûter cher, mais je m’en fiche. Je regarde à la fenêtre et j’observe. Les passants se ressemblent tous. Parfois j’aperçois, au milieu du lot, une étoile. Une personne qui brille plus que les autres. Elle s’émerveille de ce qu’elle voit, elle ne se rend pas compte de la pauvreté de cet endroit. Elle sourit devant les bâtiments et les arbres fleurissants. Et en une fraction de secondes, elle disparait dans le torrent incessant de la circulation. Assis à l’arrière du taxi, je ne peux pas dire que la banquette soit désagréable. J’ai l’impression de m’être enfermé dans un cocon de protection du monde extérieur. C’est certainement le cas. Je voudrais rester là jusqu’à la fin. La fin de quoi ? Le taxi finit par se stopper, nous sommes arrivés. Je remercie le chauffeur qui en profite pour me faire un regard déplacé et je m’en vais.
Face à la gare, j’attends devant l’immense structure. Les gens en entrent et en sortent comme dans une fourmilière. Je m’inserts parmi eux et pénètre dans la ruche. La voix de la reine résonne dans les haut-parleurs. Les gens l’écoute et lui obéisse, se déplaçant en fonction des dires. A part, je dois d’abord affronter les boutiques se dressant tel des gardes devant les quais. Je les esquive et rejoins le pôle d’information de l’édifice. La dame en charge est plutôt sympathique, seulement je ressens sa lassitude dans son travail. Elle m’aide à accéder au graal et je la gratifie d’un merci avant de rejoindre le tableau des départs. Voix numéro huit, un chiffre que j’apprécie particulièrement. Le train n’arrivera que dans cinq minutes, je vais patienter sur la voie vers mon wagon. Du coin de l’œil, je regarde une fille transportant plusieurs valises encombrantes. Elle s’arrête à peu près à mon niveau. Elle voit que je la regarde, je détourne le regard. De quoi ai-je l’air ? J’ai honte de mon corps. Il transparait de moi une aura qui n’est pas la mienne. Néanmoins, je la sens fusionner avec moi plus le temps passe. J’inspire et ferme les yeux pour oublier, mais c’est impossible. Le train entre en gare, je suis bien devant mon wagon. Sur le quai, la fille se prépare à embarquer ses valises. La voyant galérer, je ravale ma fierté et rebrousse chemin pour venir l’aider. Ce n’est pas normal. Je ne devrais pas. Rien n’est plus normal en ce moment. Les valises sont lourdes, comment a-t-elle fait pour les emmener jusque-là, à la seule force de ses bras. Dans le compartiment adéquat, je dépose ses affaires et vais trouver ma place. 85, 86… 88. La voilà. Côté couloir. Je m’assois et essaye de dormir.
-Excusez-moi.
Un de mes yeux se relève et reluque la personne tentant d’établir la connexion. Rapidement, je reconnais la fille de tout à l’heure et me redresse sur mon siège, surpris. D’une main, elle me présente, en souriant, son billet. Déconcerté dans un premier temps, j’en viens à lire… 89. Cette fille a la place adjacente. Je n’ai d’autre choix que de m’écarter et de la laisser passer pour qu’elle s’installe. Le wagon est plein. J’aurais pu tomber sur n’importe qui, mais il a fallu que ce soit elle. Drôle de coïncidence quand même. De toute façon, je ne compte pas lui parler. Je préfère dormir jusqu’à destination. Cependant, je ressens une étrange présence dans mon sommeil. Il me semble… Que l’on m’observe. Avec cette désagréable sensation, je n’arrive pas à fermer l’œil et soupire d’ennui. Me tournant vers ma voisine de la manière la plus désinvolte qui soit, je lâche un simple « oui ? » d’exaspération. Elle n’y prête garde et s’adresse à moi comme si de rien n’était.
-Vous n’avez pas de bagages ?
Cette fille n’avait donc aucune gêne ? Je n’avais fait que l’aider à porter ses affaires… Rien de plus. Il n’y avait donc aucune raison qu’elle m’adresse la parole. Encore moins pour me poser une question aussi personnelle. Puisque derrière le masque, je comprenais une toute autre demande. Ou du moins, la suite que prendrait tôt ou tard cette conversation si je m’avançais dedans : où allez-vous ? Répondant de manière évasive, j’explique que je vais rejoindre de la famille et que par conséquent, seule ma présence est nécessaire. Je lui mens sans scrupule, mais elle ne dément pas. Elle continue à me parler, à me poser des questions,… A tenter de discuter. Je ne suis pas le bon sujet pour ce genre de choses et mes mensonges vont en s’agrandissant. Mon calme et ma sérénité les rendant tous aussi crédibles les uns que les autres. Avant, j’ai évidemment cherché une échappatoire, mais la fenêtre était de son côté à elle. D’ailleurs, pourquoi ne s’était-elle pas simplement contentée de regarder au travers durant le trajet comme soixante-dix pourcents des passagers côté fenêtre ? C’était une question tout à fait pertinente que je me permettais de lui poser. Elle ne fut pas déstabilisée, ne serait-ce qu’un tant soit peu, me répondant du tac-au-tac avec la même joie qui la caractérisait depuis notre rencontre. Avec tristesse, je dû assumer mon acte de gentillesse précédent et la supporter tout le trajet. En vérité, sa compagnie n’était pas si désagréable et elle était plutôt charmante. Nous avions approximativement le même âge et nous avions plusieurs points communs, bien qu’elle ne le sache pas. Le seul défaut dans ce tableau et qui me rendait si aigris, c’était ma vision. Aussi étrange que cela puisse paraitre, je ne voyais pas son étincelle de lumière. En la regardant, avec tristesse, je me rendais compte que je ne la percevais que comme une fille. Une fille comme les autres. Banale. Sans le moindre intérêt. Mon cœur entrait en contradiction de tout ce à quoi je croyais. Mes larmes ne sortaient pas. Je n’avais que ma rage et cette fille venant l’alimenter indirectement, pour seule compagnie. L’échappatoire que j’espérais se révéla enfin, mais il était déjà trop tard. Je m’éclipsais malgré tout dans les toilettes, feintant une envie pressante. Assis sur le couvercle rabattu, je n’osais me regarder dans le miroir. Ce n’était pas de peur de voir l’horreur de ce qui s’y refléterait, mais celle de l’apprécier. J’avais trop longtemps dénié faire attention à ce reflet, l’acceptant le temps que tout rentre dans l’ordre. Seulement, je n’avais pas imaginé qu’un jour je puisse m’y habituer, qu’il puisse me changer. Et cela, même s’il entrait en contradiction de mon moi interne. Petit à petit, je me sentais épouser la cause de ce changement et de manière inexorable. Mon rejet me permettant de ralentir le processus, mais je savais qu’un jour il serait trop tard. Le train s’arrêta. Nous venions d’arriver en gare. Pensant pouvoir éviter la fille si je sortais suffisamment vite de ma cachette et que je fuyais en courant une fois sur le quai, j’ouvrais la porte. Surprise, ma connaissance n’était pas partie, mais m’attendait en s’inquiétant. Il est vrai que j’étais resté longtemps enfermé. La voir me brisa encore plus et dans le silence, je la poussais sur le côté avant de fuir selon mes plans.
Courir.
Courir vite.
Courir plus vite. Toujours plus vite.
Fuir.